Février 2012-François Bégaudeau "Au début"

Publié le par lescommunautes

Si François Bégaudeau n’est jamais où on l’attend, peut-être est-ce tout simplement parce que nul ne l’attend au bon endroit. Alors que les milieux (de terrain) de l’édition bruissaient de rumeurs, un jour un pamphlet contre José Mourinho, un autre une ode à Cécile Duflot, ou l’inverse - ça y va pas aimer -, la veille une agression à main armée sur Valérie Donzelli, le lendemain une stèle à Gombrowicz -, le voici réapparaissant résolument « ailleurs ». Qui l’eût attendu, en effet, avec un recueil de nouvelles - ou roman ? - consacré au thème de la grossesse ? C’est pourtant ainsi que se présente «  Au début », qui paraît ces jours-ci chez un éditeur dont le graphiste ne risque pas de venir décorer ma chambre C’est pas grave, un livre, le mieux, c’est encore d’en lire le texte. Yes I can.          

 

    Ce texte badin et touchant, grave et léger, nonchalant et survitaminé, se signale d’abord à l’attention des lecteurs aguerris par son élégance littéraire, qu’en théoricien-pratiquant de l’oralité concertée il avait jusqu’alors, non pas négligée, mais résolument récusée. Comment lui donner tort, le tropisme vers le classicisme - surécrit, c’est un peu comme machiavélique, il s’agit rarement d'un compliment   -, on sait ce que c’est : on veut écrire comme Gracq, on finit par bafouiller, en se la pétant quand même, c’est le comble, à la Saunier. Cependant, il y a quand même des inconvénients à l’option inverse : il fallait quand même une certaine sensibilité littéraire pour s’apercevoir à quel point son parti-pris d’oralité, légèrement atténué dans « La blessure la vraie », c’est quand même pas ma faute si c’est son meilleur livre ! était en fait finement tressé, à quel point ces interjections, ellipses, élisions, anacoluthes, et autres monstruosités grammaticales étaient le fruit d’une réflexion syntaxique et lexicale sophistiquée - au passage, belle allitération -, bref, comme on dit sur Canal, à quel point cette sous- écriture ostentatoire était en fait une surécriture paradoxale et masquée.

 

  D’un autre côté, pour ceux qui à ma semblance considèrent qu’ils ont leur compte (et au-delà) de négations bouffées en provenance de l’Élysée, et qu’ils se remettront à lire Bégaudeau quand le serial killer de la syntaxe aura vidé les lieux, ils peuvent sans attendre renouer, dès l’incipit d’ « Au début » : c’est une bonne nouvelle. Nouvelles, au fait, ou roman finalement ? Réponse : en seconde lecture, et definitely, roman. C’est un verre de Brouilly qui m’a mis sur la piste, mon cher Watson. Un personnage féminin le boit dans un café avec une amie au chapitre deux, et au treize c’est via l’amie que s’opère un contrechamp. Si elles avaient comme tout le monde pris un café, pas sûr que ça me serait remonté au cerveau. A quoi ça tient la littérature.

 

  Treize chapitres, et un autoportrait bref et drolatique en guise de bonus en fin de volume ; quatorze,   donc - voir plus haut. Le thème fédérateur en est la grossesse, et le personnage commun à tous ces épisodes, et de manière croissante, puisque son rôle est décisif dans les trois-quatre derniers, y est un prénommé François - un prénom de président, ou de présidentiable, ce qui vaut pas mieux, méfiance donc. « Vers la douceur » (2009) contait les déambulations sentimentalo-existentielles et colloques d’épiderme tous azimuts d’une bande de trentenaires, là ce sont un peu les mêmes cinq (ou dix ?) ans après, mais pas que. Y a aussi des parents, des potes périphériques, bref des récits panachés dans l’espace et dans le temps (habilement marqués), sinon dans la sociologie où s’esquisse quand même une certaine homogénéité : classe moyenne élargie.

 

Le premier chapitre du livre, qui narre l’incroyable parcours du combattant d’une mère qui accumule fausses couches et autres drames, jusqu’à finir, à force de ténacité, d’obstination, et mais oui, de courage, par accoucher d’une petite Gabrielle, est sans doute ce que Bégaudeau a écrit de plus émouvant à ce jour. J’avais d’abord écrit qu’il s’agissait d’un François inattendu, mais dans la pourtant longue et dense histoire de la critique littéraire comme synonyme de la paresse, aller jusqu’à ne pas lire son propre incipit eût probablement constitué un précédent. Disons donc : inédit. Y a pas de blaze, j’arriverai bien à me contredire ailleurs. C’est dans mes cordes.

 

  La tentation de la thèse (ou de l’hypo) affleure parfois, mais comme elle est rééquilibrée vingt ou cent pages plus loin par son contraire dans une autre séquence, le piège est évité avec maestria. Bilan d’ensemble ? La biologie n’a pas bougé depuis Adam et Eve, mais la sociologie et les mœurs ont quand même tout changé, sauf l’essentiel. Il me semble quand même voir poindre une sorte d’étrange orgueil générationnel : première génération du binôme contraception plus avortement, jamais enfanter n’aura autant été un choix ; place accrue à la liberté de l’enfant au détriment de l’autorité des parents, soit gratitude envers des parents libéraux, soit leçon (discrète) envers des parents pas assez cool ; et bien sûr, possibilité de grève du ventre sans stigmatisation sociale. C’est drôle, ce beau roman gai ne va pas précisément à contre-courant des sagas pleurardes à succès qui le révulsent et qui, peut-être, sont son anti-modèle : en socle commun avec Delphine de Vigan et Laurence Tardieu, il y a l’hypothèse somme toute raisonnable que le savoir parental s’est accru, le choix aussi, les options (avec la généralisation du divorce) pareillement et que l’un dans l’autre le parents d’aujourd’hui sont plus réfléchis et plus informés, ce qui ne veut pas dire meilleurs, que leurs géniteurs. C’est ça qui est si plaisant dans la littérature ; c’est à quel point l’idéologie n’y a pas de prise. On est contemporain de ses contemporains, et le reste, c’est de la sciure pour les chats.       

 

Alors, si ce roman est si bon, pourquoi persister à le juger légèrement inférieur à « La blessure la vraie »  ? Toujours pareil : peut-être parce que dans ce dernier livre se trouve tapi, sinon niché, un soupçon supplémentaire d’implication personnelle. Ce livre, la grossesse vue et lue par un garçon, est écrit de l’extérieur, un extérieur ultra-intelligent et ultra-informé, un extérieur tout de même.

    Et voilà pourquoi votre fille est muette, et pourquoi « La blessure » garde sa médaille d’or, comme la Roja, et peut-être pour plus longtemps encore. De LBLV je peux dire ce que   Sartre avait écrit, en public donc, de « La chute » de Camus, « le plus beau peut-être, et le moins compris de ses livres »  et aussi ce qu’il en disait en privé - à Olivier Todd -, c’est-à-dire la raison de cette élection : « parce qu’il s’y est à la fois mis tout entier et caché tout entier. »

 

  Féministe, comme en atteste « Fin de l’Histoire », ex-prof, comme en atteste « Entre les murs » , enfant du rock, comme en atteste « Mick Jagger, un démocrate », autobiographie émancipé et distancié, comme en atteste « La blessure la vraie », François Bégaudeau ne pouvait guère, ne pouvait rien écrire d’autre qu’un roman autobiographique sur la grossesse (?) éclaté en 14 séquences plein de profs et comportant les phonèmes NOFX, Wampas, Fréjus, Love Like Blood - rayez la mention inutile. Si vous n’en rayez aucune vous êtes vraiment des amis. Putain mais c’est pas croyable, et pour un écrivain, vraiment regrettable, pour ne pas dire désolant, pour ne pas dire lamentable, d’être à ce point prévisible.

 

 

François Bégaudeau, "Au début"

Document réalisé par L. LE TOUZO, le 28 août 2011

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